Sortir de l´alcoolisme, ensemble

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Sortir de l'alcoolisme, ensemble

A Saint-Luc, les patients alcooliques sont pris en charge conjointement par les Services de psychiatrie et de gastroentérologie. Rencontre avec les Prs Philippe de Timary, psychiatre, et Peter Starkel, gastroentérologue, co-fondateurs de l'Unité d'hépatologie intégrée.



Saint-Luc Magazine: La dépendance à l'alcool affecte 7% de la population. Parmi ces personnes, seule une infime partie (de 5 à 10%) accède à des soins. Pourquoi est-il si difficile de prendre en charge les patients alcooliques?
Philippe de Timary (PdT): Du côté des patients, trois éléments interviennent. Il y a tout d'abord le déni du problème: ils éprouvent de grandes difficultés à reconnaître leur pathologie. La dimension de honte est également très présente. Enfin, ces personnes entretiennent souvent une très mauvaise image d'elles-mêmes. Du côté des soignants, ce n'est pas toujours facile non plus. Les professionnels de la santé confrontés à ces patients doivent aider des personnes dans le déni, qui ne sont pas en demande de soins et/ou qui sont parfois considérées comme responsables de leur maladie... Il arrive que cette situation se heurte à leur idéal de soins.

SLM: Face à la complexité de cette problématique, que proposez- vous?
Peter Starkel (PS): Nous sommes partis du principe que nous ne parviendrions pas à créer quelque chose d'innovant dans la prise en charge des patients alcooliques si nous restions chacun dans notre coin. Nous nous sommes alors associés pour mettre sur pied cette unité pluridisciplinaire. Tant les psychiatres que les gastroentérologues sont confrontés à ces patients. Pourtant, il y a, d'habitude, peu de dialogue entre ces deux disciplines. À Saint-Luc, nous pensons que les deux dimensions, psychique et physique, doivent être prises en charge. La cure de trois semaines que nous proposons se déroule en alternance entre l'hôpital et le domicile (voir plus bas).

SLM: Quels sont les résultats de cette approche?
PdT et PS: Nous estimons qu'environ un tiers des patients parviennent à rester abstinents. Mais tout n'est pas perdu pour les autres! Ils ont été aidés, certains consomment moins et continuent à être suivis. Ils sont alors dans une dynamique positive par rapport à leur problème d'alcool. Notre prochain objectif: sensibiliser progressivement l'ensemble du corps médical à la prise en charge spécifique de ces patients. En effet, il est essentiel de repérer les personnes qui ont un problème d'alcool et trouver un moyen de les aider... d'une façon ou d'une autre.

Un parcours de trois semaines

o Semaine n°1 : le sevrage à l'hôpital
Cette étape difficile est étroitement encadrée sur le plan médical à cause, notamment, des symptômes physiques de manque qui accompagnent l'arrêt de l'alcool. Un bilan physique destiné à investiguer les méfaits de l'alcool sur l'organisme est également réalisé.
o Semaine n°2 : le retour au domicile
Qui dit retour à la maison dit exposition au milieu dans lequel les patients consommaient habituellement... En amont, ils réfléchissent donc avec l'équipe soignante à ce qui peut être mis en place pour gérer au mieux ce retour. Mais qu'ils Ğcraquentğ et consomment de l'alcool ou pas lors de cette deuxième semaine, les patients sont pris en charge jusqu'au bout.
o Semaine n°3 : les résultats des examens
Lors de cette deuxième semaine d'hospitalisation, les patients travaillent sur les raisons qui les ont poussés à boire. C'est aussi le moment où ils reçoivent les résultats des bilans médicaux qu'ils ont subis lors de la première semaine. Après ces trois semaines vient l'étape du suivi - toujours individualisé - et la mise en pratique de la stratégie d'abstinence de chaque patient.

La "mise au point organique"

La mise au point organique de la troisième semaine permet notamment de travailler la problématique du déni. ĞQuand on constate des problèmes au niveau du foie, des nerfs, du cerveau, dans le sang... On dispose d'éléments tangibles pour questionner leur consommation d'alcoolğ, détaille le Pr Starkel. Ce bilan de santé peut agir comme un déclic pour certains alcooliques. C'est le cas pour Thérèse, une patiente: ĞJuste avant ma sortie de cure, j'ai appris que je souffrais de lésions irréversibles au foie. J'avais le choix: continuer à boire et aggraver mon état ou m'arrêter... J'ai pensé à ma fi lle et à mon mari et j'ai pris la décision d'arrêter pour de bonğ.

"Une maladie dont on ne guérit pas"

ĞJe pense qu'il y a deux conditions sine qua non pour sortir de l'alcoolisme: admettre que l'on est malade et prendre conscience du fait que l'on ne s'en sortira pas seulğ, explique Charles, la cinquantaine, à l'issue de sa cure à Saint-Luc. ĞMême si je trouve que mon séjour est une réussite, il n'en reste pas moins l'angoisse de la 4e semaine, de la 5e, de la 6e et ainsi de suite... L'alcoolisme est une maladie dont on ne guérit pas. Les abstinents que j'ai rencontrés continuent de se définir comme Ğalcooliquesğ. Je crains d'échouer, de décevoir. Mais je suis confiant. J'ai la chance d'être très bien entouré, médicalement mais aussi par ma famille et mes amis. Si mon mérite a été de reconnaître ma maladie, le leur a été de l'avoir acceptée et de ne pas m'avoir condamné.ğ

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Article rédigé par Aude Dion, extrait du Saint-Luc Magazine n°29 (mars - avril - mai 2014). A Saint-Luc, les patients alcooliques sont pris en charge conjointement par les Services de psychiatrie et de gastroentérologie. Rencontre avec les Prs Philippe de Timary, psychiatre, et Peter Starkel, gastroentérologue, co-fondateurs de l´Unité d´hépatologie intégrée.