Cancer de la prostate : surveiller plutôt que traiter
Cancer de la prostate : surveiller plutôt que traiter
Le Pr Bertrand Tombal, Chef du Service d'urologie, préconise une médecine anticipative pour les pathologies prostatiques et, en particulier, pour le cancer de la prostate... Surveiller plutôt que traiter agressivement, une démarche atypique qui a fait ses preuves.
Le Pr Bertrand Tombal, Chef du Service d'urologie, place le patient au centre de ses préoccupations et leur propose une approche différente: la surveillance active des cancers prostatiques peu agressifs plutôt qu'un programme de soins lourd aux effets secondaires difficiles à gérer, sur le plan physique que psychique, pour le patient et son entourage.
Cancer de la prostate : de l'obscurantisme à la lumière
Le cancer de la prostate était incurable jusqu'à la fin des années 1980
car souvent diagnostiqué à un stade avancé et métastatique. A la même
époque, apparaît le PSA ou antigène spécifique de la prostate. Une véritable
révolution puisqu'une simple prise de sang permet de détecter à un
stade précoce, chez un homme strictement asymptomatique, la présence
d'un cancer à un stade débutant. Cette avancée majeure permet de détecter
de très nombreux cancers de la prostate qui devient le premier
cancer de l'homme avec environ 9500 cas dépistés chaque année.
Dans la foulée, la chirurgie du cancer, ou prostatectomie radicale, et la
radiothérapie Ğ explosent ğ... malgré un impact parfois très sévère sur la
qualité de vie du patient. Tous les traitements du cancer affectent en effet,
à des degrés variables, les fonctions urinaires et sexuelles de
l'homme. Mais avant les années 2000, tel était le prix de la guérison.
A moins que...
En 2005 émerge la constatation que, contrairement au nombre de cancers
prostatiques qui explose, la mortalité reste relativement stable. Cette observation inquiétante n'a manifestement pas fait son
chemin parmi les patients, les médecins et les médias :
beaucoup d'hommes atteints d'un cancer de la prostate
n'en mourront jamais et subissent donc des effets secondaires
évitables... D'autres par contre présentent des
formes agressives de cancers pour lesquels les alternatives
thérapeutiques sont limitées et les stratégies de traitement
mal construites... Bref quinze ans d'errance entre
sur et sous traitement.
Dépasser les angoisses du patient
Depuis 2007, le Service d'urologie des Cliniques universitaires Saint-Luc s'attache à résoudre ce paradoxe. Tout d'abord, en implémentant les stratégies de surveillance
active. Grâce à diverses techniques, il est possible aujourd'hui de reconnaître avec une faible marge d'erreur les cancers à l'agressivité limitée. Des techniques de biopsies
ciblées sur l'imagerie par résonance médicale (IRM) ont été mises à la disposition des patients. L'étape suivante consiste à proposer des tests génétiques permettant de prédire avec plus de précision l'évolution de la maladie.
Cet aspect Ğ technique ğ de la surveillance active des cancers prostatiques peu agressifs est facile à mettre en oeuvre. La principale difficulté est d'ordre psychologique.
Ğ Souvent, les patients nous sont référés dans un grand état de stress, prêts à se faire opérer en urgence, explique Bertrand
Tombal. Le travail d'autonomisation du patient, au
cours duquel nous allons l'aider à apprivoiser sa maladie
est considérable et difficile. Il ne peut se faire que par des
équipes multidisciplinaires bien formées composées de
médecins, d'infirmières et de psychologues. Je tiens à préciser
que ces patients représentent souvent l'archétype de
la Ğ non-santé ğ masculine et qu'il faut leur réapprendre les
bases d'une hygiène de vie. Ensuite, en axant nos recherches
sur les cancers avancés de la prostate pour lesquels
les traitements ne sont pas très efficaces et surtout
altèrent la qualité de vie. ğ
L'exercice physique comme thérapie
Ğ Nous pratiquons la surveillance active depuis 2008 et
nous sommes l'un des premiers Services d'urologie en Europe
à proposer un programme compréhensif de prise en
charge des effets secondaires de l'hormonothérapie par
suppression androgénique. Dans le cadre de ce programme,
les patients sont encouragés à la pratique d'exercices
physiques dits Ğ de résistance ğ. ğ
Ce programme a largement fait ses preuves et est aujourd'hui
soutenu par la Fondation Innoviris de la Recherche
pour la Région Bruxelloise. L'aboutissement de ce
projet est la création d'un projet belge baptisé Feel+ (lire en
encadré), en association avec Europa Uomo, l'association
européenne des patients atteints d'un cancer de la prostate,
et deux partenaires pharmaceutiques.
Ce programme est aujourd'hui implémenté dans plus de vingt centres en Belgique.
Confiance en l'avenir
Ğ Dans le domaine de la recherche, notre Service a investi dans des essais cliniques avec de nombreuses molécules innovantes, ce qui nous permet toujours d'offrir un portefeuille
de médicaments pas ou peu disponibles dans la plupart des institutions de soins. ğ
L'innovation, la créativité et l'humanisation des soins sont des concepts chers au Pr Tombal. Avec son équipe, il poursuit ses efforts et espère pouvoir compter sur le soutien
des mécènes pour l'aider à avancer.
Sport et cancer: Feel free... Feel+ !
Le sport constitue un élément essentiel dans le parcours de soin du patient. Ğ Pour certains cancers de la prostate, un traitement hormonal, l'hormonothérapie, est indiqué. Cette prise en charge entraîne malencontreusement
des effets secondaires tels que l'ostéoporose
et des symptômes identiques à la ménopause, à
savoir une diminution des muscles, une augmentation
du poids, etc. Ces symptômes peuvent être diminués,
voire supprimés quand la personne pratique une activité
physique régulière comme le sport ğ, explique le
Pr Bertrand Tombal.
C'est dans cette optique que fut conçu Ğ Feel+ ğ. Réalisé
par plusieurs professionnels de la santé, Ğ Feel+ ğ
est un programme sportif personnalisé initialement
destiné aux personnes atteintes d'un cancer de la
prostate. Il comprend également une série de recommandations
diététiques et des aspects psychologiques
de la maladie.
De nombreuses publications démontrent les bienfaits
pour la qualité de la vie de l'activité physique régulière.
Ğ C'est également le cas dans un cadre de soins
oncologiques ğ, précise le Pr Tombal.
La prostate, affaire d'homme ?
Dans le cadre de la cérémonie académique
de remise des bourses de la Fondation Saint-Luc, les
500 invités ont assisté à une conférence
passionnante proposée par le Pr
Bertrand Tombal, Chef du Service
d'urologie. Ce dernier a abordé un
thème dont on parle peu : l'impact du
cancer de la prostate sur l'homme... et
sur sa compagne.
Le diagnostic et le traitement du cancer de la
prostate intéressent principalement les
hommes... Vraiment ? Entre ce postulat et la réalité,
il existe une grande différence. Si les maladies
de la prostate ont un impact majeur sur
l'homme, derrière chaque patient se cache
souvent une femme durement éprouvée par la
maladie de son compagnon.
Les thérapies actuelles se concentrant principalement
sur l'éradication du cancer peuvent
entraîner des effets secondaires allant bien au-delà
des seuls changements physiques. Elles
génèrent en effet fatigue, dysfonction érectile
et fuites d'urine et, en cas d'hormonothérapie,
bouffées de chaleur, croissance du tissu mammaire,
diminution du désir sexuel, gain de
poids et diminution de l'acuité mentale.
Les conséquences psychologiques de ces effets
secondaires peuvent se révéler dévastatrices
tant elles affectent l'estime de soi et le
sens de l'identité des hommes.
Les dégâts collatéraux du cancer de la prostate
sont incompatibles avec les conceptions occidentales
de la masculinité. Notre culture exige
en effet des hommes qu'ils soient physiquement
forts, capables, indépendants et protecteurs.
Dans ce combat, ces derniers ne sont pas
seuls. Dans la plupart des cas, une femme en
est également profondément affectée. C'est la
raison pour laquelle il est important aujourd'hui
d'expliquer pourquoi le cancer de la prostate
concerne les femmes autant que les hommes.
Surveiller plutôt que traiter agressivement, une
démarche atypique qui a fait ses preuves.