Des recherches Saint-Luc & UCL autour du thème de la dépression
Des recherches Saint-Luc & UCL autour du thème la dépression
A quelques jours de la journée européenne de la dépression (27 octobre), l'UCL et les Cliniques universitaires Saint-Luc ont organisé un déjeuner de presse afin de présenter diverses recherches menées sur cette thématique. Voici un résumé des différents thèmes qui ont été abordés durant cette rencontre.Dépression, cognition et antidépresseurs
Les perturbations cognitives, comme les troubles de la mémoire, de l'attention, et des fonctions exécutives, font partie de la symptomatologie dépressive et sont responsables de difficultés fonctionnelles dans la vie de tous les jours des patients. Ce volet de recherche du Pr Eric Constant a pour objet d'étudier en détails ces altérations cognitives et de suivre leur évolution en cours de traitement antidépresseur. Chez ces patients, l'équipe du Pr Eric Constant a à la fois pu mettre en évidence un ralentissement psychomoteur associé à des difficultés exécutives et des biais attentionnels pour des informations à valence émotionnelle négative. Grâce au traitement antidépresseur, une amélioration au niveau du ralentissement psychomoteur et des altérations exécutives sont observées dès les premières semaines de traitement. Le retour à un état euthymique par contre semble requis pour la disparition des biais attentionnels pour les informations à valence émotionnelle négative.Dépression et créativité
La question de la relation entre la créativité et l'existence de pathologies mentales, en particulier de la dépression unipolaire ou bipolaire, est ancienne. Elle remonte à Platon et Socrate. Aristote, au quatrième siècle avant Jésus-Christ, s'est intéressé plus spécifiquement à la relation entre la mélancolie, la folie et l'inspiration. Ğ Pourquoi remarque-t-on ğ, disait-il, Ğ que tous les hommes qui sont remarquables en philosophie, poésie, ou dans le domaine des arts sont mélancoliques ? ğ. Ce volet de recherche mené par l'équipe du Pr Constant a pour but d'examiner le lien entre la créativité et l'existence de pathologies dépressives uni ou bipolaires chez des compositeurs. Ainsi, lorsque l'on examine l'activité de composition de Schumann au fil des années, plus que probablement atteint d'un trouble bipolaire, l'effet inhibiteur des phases dépressives et l'effet stimulant des périodes maniaques semblent clairs. Rachmaninov, sombra dans une dépression narcissique après avoir dû faire face au rejet de sa première symphonie par le public et la critique musicale de son époque. Cette dépression durera près d'un an, sans pouvoir composer un seul morceau ! Frans Schubert, alors qu'il n'avait encore que 26 ans, fût frappé de désespoir. La syphilis, aujourd'hui bénigne, était incurable au siècle dernier et il sombra dans une dépression neurasthénique. Cette mélancolie signera désormais toutes ses oeuvres, qui deviennent cris de douleur et tristesse sans rémission.Plus d'infos sur ces deux thèmes :
Pr Eric Constant, chef de clinique du service de psychiatrie adulte aux Cliniques universitaires Saint-Luc, professeur à la Faculté de médecine et médecine dentaire et à l'Institut de Neuroscience de l'UCL
eric.constant@uclouvain.be
Les effets de la musique sur l'expression des émotions chez les patients bipolaires
Dans la pratique quotidienne, les épisodes dépressifs se présentent sous des formes très variées. Ce ne sont pas toujours les mêmes symptômes qui dominent le tableau clinique (altération des affects, du cours de la pensée, de l'activité psychomotrice, douleurs, somatisations, etc.) alors que les réponses thérapeutiques restent peu différenciées. Les recherches dans le domaine des troubles de l'humeur intègrent de plus en plus une vision multidimensionnelle qui correspond mieux à la réalité clinique que les classifications habituelles des épisodes dépressifs.Le travail de recherche du Dr Sébastien Theunissen vise à explorer la dimension émotionnelle, en particulier les émotions suscitées par l'écoute de la musique. L'étude portera dans un premier temps sur des patients bipolaires en période euthymique (ou stable), c'est-à-dire hors des épisodes de décompensation. D'autres équipes de recherche posent en effet l'hypothèse qu'il existe, parmi les patients atteints de trouble bipolaire, des sous-groupes de sujets qui se différencient par leur réactivité émotionnelle. Cette muabilité émotionnelle, fréquemment mise en évidence lors de décompensations dépressives ou maniaques, pourrait exister entre les épisodes. C'est ce que le Dr Sébastien Theunissen va tenter de mettre en évidence en mesurant l'impact d'un fond musical (triste ou joyeux) sur l'expression des émotions lors d'entretiens à thématique triste et joyeuse. Il s'agira de suivre l'évolution de paramètres physiologiques (fréquences cardiaque et respiratoire, conductance cutanée), et de l'analyse lexicale du discours.
En fonction des résultats obtenus, la méthode sera appliquée à des sujets présentant des décompensations thymiques (dépressives uni- ou bipolaires, maniaques).
Plus d'infos sur ce thème :
Dr Sébastien Theunissen, résident au Service de psychiatrie adulte des Cliniques universitaires Saint-Luc
sebastien.theunissen@uclouvain.be
La pleine conscience pour prévenir la dépression chez les ados
Les adolescents sont confrontés à des challenges importants, parfois sans se sentir suffisamment armés pour parvenir à les relever. Les capacités cognitives, impliquées dans la régulation des émotions et dans la dépression, apparaissent vers l'âge de 13-15 ans. Le Pr Pierre Philippot est spécialisé dans la régulation émotionnelle des troubles dépressifs. Avec son équipe, et notamment le Dr Sandrine Duplus, il a établi un programme de prévention de la dépression par la pleine conscience, destiné avant tout aux adolescents. Le programme a fait l'objet de deux études distinctes menées auprès d'adolescents, qui ont toutes deux démontré les effets bénéfiques de la pleine conscience pour réguler les troubles anxio-dépressifs de ces jeunes. L'UCL est pionnière en Europe en la matière.Il existe actuellement plusieurs solutions thérapeutiques recommandées par les spécialistes pour traiter la dépression, tant au niveau pharmacologique que psychologique. Aujourd'hui, l'un des défis auxquels sont confrontés les chercheurs consiste à mettre au point des interventions préventives pour éviter l'apparition ou la rechute de la dépression chez les populations à risques. Parallèlement, l'autre défi auquel font face les scientifiques est de trouver des solutions préventives non-médicamenteuses, principalement à destination des enfants et des adolescents, les psychotropes pouvant interférer avec le développement cérébral, (car les psychotropes peuvent interférer avec la maturation cérébrale) ainsi que pour les personnes âgées. Ceci pour éviter des effets secondaires indésirables chez ces patients généralement fort médiqués pour d'autres problèmes de santé, les interactions médicamenteuses étant encore mal connues. L'équipe du Pr Philippot a développé une intervention préventive qui s'adresse soit à des enfants et adolescents, soit à des personnes âgées. Celle-ci vise les deux principaux facteurs psychologiques responsables de l'apparition et du maintien de la dépression, qui sont la désactivation comportementale et les ruminations mentales. La désactivation comportementale correspond aux difficultés du patient dépressif à initier des actions en lien avec ses objectifs et ses valeurs. Quant aux ruminations mentales, elles consistent à ressasser des pensées négatives sur soi, le futur et le monde en général. Cette intervention préventive entraîne spécifiquement la Ğ pleine conscience ğ. La pleine conscience est une manière d'être en relation avec sa propre expérience (ce que nous percevons avec les 5 sens, nos sensations corporelles, nos pensées). Elle résulte du fait d'orienter volontairement l'attention sur son expérience présente et de l'explorer avec ouverture, que nous la jugions agréable ou non, tout en développant une attitude de tolérance et de patience envers soi. Elle permet de s'engager dans des actions en lien avec ses valeurs et objectifs et de se désengager des ruminations mentales.
L'un des programmes de recherche du Pr Philippot et de son équipe, soutenu par la fondation HuoShen, a permis la conception et l'évaluation d'une intervention préventive à destination d'une population adolescente, basée sur la pleine conscience. Une étude a été effectuée auprès d'adolescents consultant pour des problèmes anxio-dépressifs et a comparé les effets du programme de pleine conscience avec ceux d'un programme de relaxation. Une autre étude a été menée auprès d'adolescents résidents d'un Service Résidentiel pour Jeunes (SRJ), présentant des problèmes psychologiques.
Ces deux études ont démontré que, moyennant un cadre approprié, le programme de pleine conscience est bien accepté par les adolescents et a un effet bénéfique sur la gestion de leurs émotions et de leurs troubles anxio-dépressifs.
o Site concernant les interventions basées sur la pleine conscience : www.cps-emotions.be/mindfulness
oSite du Laboratoire de Psychopathologie Expérimentale : www.uclep.be/publications
o Pr Pierre Philippot, Laboratoire de Psychopathologie Expérimentale, Institut de recherche en sciences psychologiques, UCL, pierre.philippot@uclouvain.be
La dépression dans le contexte conjugal et familial
Comment un couple gère-t-il les situations difficiles ? Spécialisée dans l'étude de la dépression dans le contexte du couple, c'est la question que pose le Pr Barbara Gabriel à travers ses recherches, qui visent à comprendre quelle évolution de la dépression s'effectue suite aux interactions et aux dynamiques qui s'opèrent entre les deux partenaires et comment protéger la relation sur le long terme. La chercheuse a pu établir divers résultats tels que des patterns d'interactions conjugales qui influencent directement l'évolution du trouble dépressif ainsi que le devenir de la relation elle-même. Un exemple : Au sein du couple, avec le temps, le partenaire dépressif risque d'exprimer un niveau élevé d'émotions négatives et de critiques, associées à un faible niveau d'expression d'émotions positives et de marques de soutien. Il rentre dans le cercle vicieux de la négativité, ce qui ce qui peut engendrer des symptômes dépressifs plus intenses et un niveau de stress plus élevé. Quelle solution ? Il a été observé que chez les couples concernés, suivre une thérapie de couple a un effet positif tant sur la relation conjugale que sur l'évolution de la dépression chez le partenaire concerné. En collaboration avec le Pr Bodenmann de l'Université de Zürich, le Pr Barbara Gabriel a participé à l'évaluation d'une thérapie de couple orientée vers l'adaptation, dans le but d'activer les ressources positives nécessaires pour protéger la relation sur le long terme et obtenir une amélioration des symptômes dépressifs. Ces ressources consistent, par exemple, à encourager le soutien du partenaire ou favoriser les activités et les projets communs au sein du couple.Le Pr Barbara Gabriel a également réalisé différentes études portant sur les dynamiques dans la relation des couples parentaux, liées au développement et au bien-être des enfants. Les conflits à répétition et les difficultés rencontrées par les parents dans leur relation conjugale peuvent en effet avoir des répercussions sur la qualité de la relation parent-enfant et un impact direct ou indirect sur le développement et l'épanouissement de leur enfant.
Nouveau projet de recherche : la dépression post-partum dans le contexte conjugal
En lien avec les recherches précédentes réalisées par le Pr Barbara Gabriel, un nouveau projet de recherche sur la dépression post-partum dans le contexte conjugal et familial, financé par le Fonds Spécial de la Recherche (F.S.R.) a débuté. Ce projet va être réalisé en collaboration avec Aurélie Gillis, doctorante à l'Institut de recherche en sciences psychologiques, qui analysera le bien-être et le rôle du père dans le contexte de la dépression post-natale.
Pourquoi ce projet?
L'objectif de l'étude est de transposer les résultats obtenus précédemment dans le cadre des dynamiques familiales et de la dépression au sein du couple au contexte de la dépression post-partum. Le but ? Comprendre comment la dépression post-partum est associée à des variables conjugales influençant la dépression, le devenir de la relation et le bien-être de la famille sur le long terme.
La dépression post-partum a un impact important sur la relation conjugale des parents et la parentalité, ce qui pose un risque de rechute symptomatique chez la mère dépressive. Cependant, l'impact de la dépression post-partum à long terme sur la famille est peu connu. Plusieurs études démontrent que les étapes de transition, telles qu'une naissance et la constitution d'une nouvelle famille, causent une faille de vulnérabilité au sein de la relation conjugale.
Méthode : Le Pr Barbara Gabriel et Aurélie Gillis procèderont par l'analyse de 60 couples où la mère a développé une dépression post-partum. L'étude se fera sur une période de deux ans et suivra les différentes étapes (3 - 6 mois, 1 an et 2 ans postpartum) via des interviews, l'utilisation de questionnaires et la réalisation d'enregistrements vidéo. Une page Facebook intitulée Ğ Soutien aux jeunes parents ğ, contenant des informations sur l'étude, a également été mise en place.
Quelques chiffres sur la dépression post-partum :
- 10 à 20% des nouvelles mamans souffrent de dépression post-partum
- La dépression post-partum débute entre 4 semaines et un an après la naissance
- Pic le plus haut de la dépression post-natale: entre 3 et 6 mois suivant la naissance.
Plus d'infos sur ce thème :
Barbara Gabriel, professeur à la Faculté de psychologie
et des sciences de l'éducation et chercheuse à l'Institut
de recherche en sciences psychologiques (IPSY) de l'UCL
barbara.gabriel@uclouvain.be
Aurélie Gillis, doctorante à l'Institut de recherche en sciences Psychologiques (IPSY) de l'UCL, a.gillis@uclouvain.be